Historique de la formation des séminaristes du diocèse à Strasbourg de 1580 à 1945

Introduction Générale

A l’ombre de la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, il se dresse cet imposant bâtiment, dont le frontispice porte l’inscription «  SEMINARIUM ». Riche d’une histoire ballottée entre l’enthousiasme de sa fondation et de sa construction après la seconde moitié du XVIIIème siècle, le Grand Séminaire de Strasbourg a connu des heures bien plus sombres lors de la Révolution française en abritant dans ses murs une prison. Nous voudrions tenter de retracer ici le panorama général de l’histoire de la formation des prêtres dans le diocèse de Strasbourg depuis le Concile de Trente.

Notons que ce n’est pas seulement au XVIème siècle que l’Eglise commence à se soucier de la formation de son clergé, en effet des collèges fondés près des universités, des écoles monastiques et des écoles épiscopales existaient déjà, mais sans avoir ni le rayonnement ni la durée des séminaires.

Pour l’époque, il ne s’agissait pas tant de réformer que de créer une institution nouvelle et durable pour permettre au clergé et aux futurs prêtres d’avoir une solide formation dans l’optique des orientations du concile de Trente. Dans cette perspective, il convient de relever d’ores-et-déjà la forte influence exercée par les Jésuites du XVIIIème siècle dans ce vaste diocèse, où est apparu très tôt le souci d’un niveau intellectuel élevé pour le clergé.

Absorbés par leurs responsabilités politiques et seigneuriales, les évêques au Moyen-âge négligeaient la formation d’un clergé sur lequel ils n’avaient guère d’influence. A vrai dire, c’est surtout dans les petites écoles, à l’ombre des collégiales et des monastères ou encore auprès de leur propre curé que les futurs desservants recevaient des éléments de leur formation ecclésiastiques, à savoir des rudiments de latin, les psaumes, les évangiles, la liturgie, le chant et le service religieux. C’est ainsi qu’au XIIème siècle, les collégiales de Saint-Thomas de Strasbourg et de Saint-Adelphe de Neuwiller comptaient déjà des chanoines ayant fréquenté les universités de Paris ou de Bologne. Un chroniqueur alsacien du XIIème siècle rapporte que « dans les villages, le dimanche, les prêtres expliquaient le Pater, en langue allemande, mais qu’un tout petit nombre était capable de prêcher sur l’Ecriture ». Au XVIème siècle, les clercs étudient davantage ; pour exemple, début 1500, sur les treize chanoines de Saint-Thomas, pour trois chanoines seulement les documents n’attestent pas d’études universitaires. A la même période, les humanistes chrétiens, prêtres pour la plupart, sont engagés en faveur d’un ressourcement spirituel pour tous les croyants, prêtres, laïcs. Pour l’ensemble des clercs, de plus en plus suivent des cours à l’université. Tous ne finissent pas docteurs, ni même licenciés, mais avec deux ans d’études, c’est déjà un progrès important.

Notons encore ici que du point de vue des traductions, concernant l’origine du mot « séminaire », le latin seminarium n’est pas forcément à traduire par séminaire, comme on aurait pu le faire dans un texte postérieur au concile de Trente ; nous pouvons préférer le sens littéral, c’est-à-dire « pépinière », mot apparenté à « seminare » qui signifie « produire ». « C’est seulement à la fin du XVIIIème siècle que le Grand Séminaire au sens commun du terme devient, et encore avec bien des variantes, la pièce maîtresse de la formation cléricale telle qu’en héritera le siècle suivant ».

  1. Vers les débuts à Molsheim

Rappelons d’abord ici le contexte historique local, propre à la situation particulière au diocèse de Strasbourg autour du concile de Trente. En 1580, les Jésuites s’installent dans le vieil hôpital de Molsheim, et au XVIIème siècle, ces Jésuites allemands oeuvrèrent à Molsheim. Strasbourg étant protestante, l’influence catholique baissa très rapidement par rapport au développement du protestantisme et cette montée des idées de la Réforme secouait toute l’organisation de l’Eglise diocésaine.

En 1597, l’officialité épiscopale vint s’établir à Molsheim. Elle sera suivie par le séminaire, et même la faculté.

  1. Le collège des Jésuites avant 1607

Au cours du synode diocésain de 1549,  l’évêque Erasme de Limbourg fit part de son grand désir d’ériger une école catholique.

En avril 1580, deux classes sont fondées à Molsheim ; à la rentrée 1581, le 3 novembre, on compta 84 écoliers issus des meilleures familles de la région avoisinant Molsheim. Ce collège ouvrit ses portes le 25 mars 1580 sous l’épiscopat de Mgr Jean de Manderscheid. Le 15 mars 1581, au jour du premier anniversaire de l’ouverture, ce même Jean de Manderscheid posa la première pierre des nouveaux bâtiments. En novembre 1581, on dénombre déjà 160 élèves. Mais dès novembre 1581, la peste rendit obligatoire le transfert du collège le 23 novembre à Saverne, où l’épidémie n’avait pas encore sévi et dura durant cinq mois jusqu’au 18 avril 1582.

Il est intéressant de constater que dans le programme des cours, une part non négligeable revient à expliquer le catéchisme de Pierre Canisius qui servait de base à la formation théologique et spirituelle des jeunes élèves (Canisius dont l’action fut importante dans la lutte contre les idées de la Réforme).

A Molsheim, l’élève logeait chez l’habitant dans un premier temps. Des séances de répétition des cours faisaient partie du programme des journées au collège de Molsheim, de même des joutes oratoires.

En 1592, le père Théodore Busaeus, alors recteur du collège, ouvrit aussi des cours de théologie et son établissement devint un véritable « séminaire » à part entière.

  1. Molsheim entre 1607 et 1683

Le cardinal Charles de Lorraine, évêque de Strasbourg, reprit à cœur en 1592, la fondation d’un séminaire afin de répondre aux décisions du Concile de Trente pour la formation d’un clergé diocésain.

A Molsheim, une nouvelle construction fut menée pour se terminer en 1606. Le 30 mai 1607, le cardinal de Lorraine signa l’acte de fondation du séminaire ; le 31 juillet, il sollicita le provincial des Jésuites de la province du Rhin de Mayence pour la direction intellectuelle, morale et financière de ce séminaire. Le projet de séminaire est remis en cause à la mort de ce jeune cardinal le 24 novembre 1607. L’archiduc Léopold d’Autriche, son successeur, nouvel évêque de Strasbourg convertit en 1617, le collège de Molsheim en université investie du droit de conférer les grades académiques pour la philosophie et la théologie, ce qui valut au collège d’être dénommé « Leopoldianum » entre 1607 et 1684.

En 1613, l’évêque Léopold d’Autriche annexa au collège des Jésuites de Molsheim le premier séminaire du diocèse. Il peut accueillir douze séminaristes ; ce nombre passe bientôt à dix-huit. Dès 1617, l’école et les facultés de philosophie et de théologie sont élevées au rang d’université, avec reconnaissance pontificale et impériale. Molsheim devient ainsi le centre du diocèse et l’académie de cette ville servit à la formation intellectuelle du clergé jusqu’en 1702, date de son transfert à Strasbourg. Avec cette nouvelle académie, l’Eglise catholique cessait enfin d’être en position d’infériorité par rapport à l’Eglise protestante, qui possédait déjà une académie à Strasbourg depuis 1566. Les fêtes de l’inauguration de l’académie de Molsheim furent données les 26, 27 et 28 août 1618. Le dimanche 26 août, la belle église fut consacrée à la Très Sainte Trinité.

Un mot bref sur le programme des cours : cinq années d’études latines et grecques furent proposées à toute la jeunesse, avec le catéchisme de Pierre Canisius, aux laïcs comme à ceux qui se destinaient à la prêtrise. Après la philosophie, des études de quatre années s’ajoutaient au cursus, dont la somme théologique de Thomas d’Aquin et des auteurs Jésuites tel Suarez firent partie du programme d’études. En tout et pour tout, pour un jeune qui se destinait au sacerdoce et qui se formait à Molsheim, un cursus de douze années d’études était proposé, si du moins il continuait jusqu’au doctorat en théologie. Les professeurs de l’académie furent tous des membres de la Compagnie de Jésus.

De 1632 à 1654, la guerre de trente ans, puis la famine et la peste durant cette période eurent pour conséquence la cessation des cours. Ainsi, en 1635, séminaire et pensionnat de Molsheim sont fermés, et il faudra attendre 1641 pour voir l’activité pastorale du collège renaître

  1. Une transition délicate

Le traité de Westphalie de 1648 donna l’Alsace à la France. Un processus de francisation et de catholicisation s’opéra par la création d’un séminaire épiscopal à Strasbourg.

En effet, le changement à la tête du diocèse de Strasbourg, où le 19 janvier 1663 Louis XIV élèva François Egon de Fürstenberg sur le trône épiscopal, entraîna qu’aucune complaisance ne fut pratiquée vis-à-vis des pères Jésuites allemands de Molsheim.

Le 21 octobre 1681, la cathédrale de Strasbourg est rendue au culte catholique, année où  Strasbourg passa sous domination française.

Le frère de François Egon de Furstenberg, Guillaume Egon, lui succéda sur le trône épiscopal et en 1683, il transféra à Strasbourg le séminaire épiscopal de Molsheim qui fut dissous en 1675. Il délégua alors l’enseignement et l’administration aux Jésuites français de la Province de Champagne.

L’état religieux fut à cette période des plus déplorables, avec un manque cruel de prêtres. De son côté, le roi Louis XIV menait une double politique à Strasbourg : la francisation de la ville et la réintroduction du catholicisme. En 1683, Guillaume Egon de Furstenberg, élu nouvel évêque de Strasbourg, fonda à côté de sa cathédrale un séminaire dont il confia l’enseignement au corps qui avait si habilement rempli sa tâche à Molsheim, avec un appel lancé aux Jésuites de Champagne, et non de Mayence. – Le choix de Jésuites français s’explique par le fait que les Jésuites allemands ne donnaient pas toutes les garanties pour une éducation française.-  Le lieu choisi fut le Bruderhof, autrefois habitation des chanoines de la cathédrale ou Frères de la Vierge Marie qui y vécurent depuis 774 environ jusque vers le XIIIème siècle.

Le Père Dez fut le premier supérieur à Strasbourg, avec 32 séminaristes sous sa responsabilité ; nommé trois fois à ce poste, ce sera l’un des plus célèbres recteur du séminaire épiscopal.

  1. Le Séminaire à Strasbourg jusqu’à la tourmente révolutionnaire (1683-1801)
  • Le Séminaire épiscopal – le Collège royal et l’université épiscopale de 1683 à 1764

La convention ordonnant l’érection du Séminaire à Strasbourg fut signée le 8 juillet 1683.

A cette création du séminaire s’ajoute la création du Collège royal à Strasbourg en 1685.

L’université catholique est érigée à Strasbourg en 1702, par transfert à Strasbourg de l’Université catholique de Molsheim.

La fondation du séminaire épiscopal du Collège royal et de l’université épiscopale à Strasbourg est un élément de la politique pratiquée par la monarchie française en Alsace. Rappelons que Louis XIV fait son entrée solennelle à Strasbourg le 30 septembre 1681 et qu’il voulait créer un centre de rayonnement catholique à Strasbourg encore bien marquée par la Réforme.

Au Père Jésuite Jean de Dez, de la province de Champagne, est confiée la direction du Séminaire. Le 8 juillet 1683, l’évêque confie le séminaire aux Jésuites de la province de Champagne. Le séminaire peut alors ouvrir ses portes les premiers jours de 1684. En août 1685, le roi Louis XIV exprime sa volonté de créer à Strasbourg un Collège royal. Le 11 novembre 1685, le collège est ouvert solennellement. On dénombre une centaine d’élèves en 1690 ; en 1750, ils seront 400.

En novembre 1701, le roi transfère le titre et les droits d’université du collège de Molsheim à celui de Strasbourg. A son début, cette université de Strasbourg ne comprend que deux facultés : celle des lettres et celle de théologie.

Le collège de Mosheim n’exerce dès lors plus de fonctions académiques. Privé de son privilège universitaire, les collégiens de Molsheim pourront cependant continuer d’y faire leurs études et seront admis aux examens à Strasbourg devant un jury mixte composé de Jésuites allemands et français.

Le nouveau collège royal fut érigé en université le 20 juin 1702 ; pour mieux concurrencer l’université et le Gymnase protestants et renforcer l’influence catholique. La fête de la translation de l’université de Molsheim à Strasbourg fut fixée au 20 juin 1702.

Notons, qu’en ce qui concerne les bâtiments, entre 1756-1757, on procède à la construction du collège Louis le Grand à l’emplacement actuel du Lycée Fustel. Et, de 1769 à 1772, c’est la construction du nouveau séminaire épiscopal suivi de l’inauguration en 1774, on abattit pour cela les bâtiments du Bruderhof.

  • Quelques chiffres

Début XVIIIème, avec l’université épiscopale, un nouveau clergé se met en place. Il est formé par les séminaires de Strasbourg et de Porrentruy, qui ouvrit en 1716.

Dès 1702, les séminaristes strasbourgeois étudient à l’université épiscopale, pour un cursus de six ans d’études, deux en philosophie, et quatre en théologie.

Le niveau intellectuel est relevé et la formation théologique est redressée.

En 1714, il y a 54 séminaristes, vers 1760, ils seront 80.

Au sein de l’université épiscopale, en théologie, le livre fondamental fut la somme théologique de saint Thomas d’Aquin. En Ecriture sainte, on utilisait la Vulgate.

Il y avait deux sortes d’étudiants à l’université épiscopale : ceux qui ne se destinaient pas à la prêtrise suivaient les seuls cours de la faculté de philosophie ; les autres voulant devenir prêtres, s’inscrivaient après leur parcours philosophique, à la faculté de théologie.

En 1764, une ordonnance royale interdit l’ordre des Jésuites. Cette décision présente de graves difficultés. Voilà plus de deux siècles que ces pères Jésuites ont formé le clergé diocésain à l’académie de Molsheim puis au grand séminaire de Strasbourg. Malgré l’intervention du cardinal de Rohan, les communautés Jésuites en Alsace sont dissoutes le 1er octobre 1765.

Le 3 octobre 1765, le même Cardinal Constantin de Rohan nomma le Père Antoine Jeanjean supérieur du séminaire (1765-1790), en même temps qu’il fut recteur de l’université.

  • La crise révolutionnaire

En juillet 1790, la constitution civile du clergé se préoccupe de la formation sacerdotale en prévoyant un séminaire par département, soit 83 pour tout le royaume. Mais, pour l’ensemble de l’Hexagone, il fallut attendre les années 1820 pour que les 81 diocèses de France possèdent tous leur grand séminaire.

En 1791, à Strasbourg, le séminaire est dit constitutionnel, car le 21 janvier 1971 fut rédigée la déclaration commune des professeurs du Grand Séminaire, dont Brendel qui prêta serment et devint évêque constitutionnel. Bien que les séminaristes et les professeurs s’obstinèrent à ne pas reconnaître l’évêque constitutionnel, ce fut la condamnation à mort du séminaire.

Ettenheim devint alors lieu de repli et centre administratif du diocèse de Strasbourg pendant la Révolution, dans le pays de Bade ; c’est le lieu du séminaire contraint à l’exil. Le Père Liebermann, l’un des chefs des réfractaires strasbourgeois, enseigna la théologie aux séminaristes de Strasbourg au couvent des prémontrés à Allerheiligen en Forêt-Noire.

La dissolution de tous les corps universitaires de Strasbourg fut prononcée en 1793.

A Strasbourg, en1792, les bâtiments du séminaire servent de prison pour prêtres âgés et réfractaires au plus fort de la persécution religieuse révolutionnaire sous le régime de la Convention nationale : 60 prêtres y seront emprisonnés.

En mai 1793, on ne dénombre pas moins de 39 ecclésiastiques internés, et la liste s’allongea encore. Vu le nombre important de clercs assignés à résidence, certains séminaristes furent transférés à l’intérieur ; un convoi de 90 prisonniers dont 70 prêtres rallia Besançon ; de juin 1793 à octobre 1794, on dénombre 1570 noms de bas-rhinois détenus officiellement au séminaire. Ce ne fut pas uniquement le lieu de prison pour des clercs, mais aussi pour les hommes du civil.

Au début de 1795, tous les prisonniers furent remis en liberté, les prêtres réfractaires éloignés purent revenir en Alsace, et les églises furent rendues au culte.

  • La « reconstruction » impulsée sous Mgr Saurine et Mgr le Prince de Croy

Mgr Saurine, dès sa prise de fonction après les heures sombres de tourmente révolutionnaire, souhaite réorganiser le séminaire. D’abord, on manqua d’un local adapté. Les bâtiments de la rue des frères qui avaient servi de prison sous la Révolution furent utilisés comme école centrale ; puis ils furent mis à la disposition du lycée et de l’école de médecine ; finalement, l’académie y installa encore plusieurs facultés et l’Ecole Normale (en 1808, l’Université créée par Napoléon Ier et l’Académie de Strasbourg s’installent avec ses facultés à Strasbourg). Les cours de théologie durant toute cette période furent dispensés dans les salles d’archives de la cathédrale en hiver, et en été au-dessus de la sacristie du séminaire.

Les jeunes séminaristes logeaient alors à cette période chez des particuliers, une douzaine ayant même le couvert chez l’évêque, Mgr Jean-Pierre Saurine.

A la rentrée de 1817, le cycle de théologie comprenait 137 séminaristes, celui de philosophie 27. Mgr le Prince de Croy ayant obtenu de Louis XVIII la restitution des bâtiments du Grand Séminaire en octobre 1823, les cours reprennent à la rue des frères en novembre 1823. A la rentrée 1824, on compte alors déjà 220 séminaristes. Durant la vacance du siège épiscopal (1813-1820), les ordres sacrés furent conférés par les évêques de Bâle, de Mayence et par l’archevêque de Besançon.

En ce début de XIXème siècle, le nombre de séminaristes augmenta rapidement : en 1808 ils étaient 80, et en 1812 ils seront 101.

Quant aux ordinations, elles progressent significativement : 25 en 1814, 30 en 1815, 40 en 1820.

La charge de supérieur du séminaire revint à Thiébaut Lienhart, aussi vicaire général sous Mgr Saurine (1802-1813) qui le choisit comme supérieur du séminaire en 1805 et le chargea de toute la réorganisation de l’œuvre du recrutement sacerdotal ; il occupa pendant 25 ans ce poste (1805-1830). Prêtre de tendance ultramontaine, Lienhart dirigea le séminaire de main de maître et enseigna la théologie dogmatique jusqu’en 1822. Pour la philosophie, l’enseignement revient au professeur bénédictin François-Antoine Frindel.

Avec le développement du séminaire, l’enseignement se diversifia : à la théologie fondamentale et à la philosophie s’ajoutèrent en 1810 la théologie dogmatique, l’histoire ecclésiastique et les langues orientales, en 1818 la pastorale et la morale, en 1820 l’Ecriture sainte, en 1823 le droit canonique.

Parmi le corps professoral, mentionnons Simon-Ferdinand Mühe, orateur populaire qui enseigna la pastorale, et aussi directeur spirituel des séminaristes qui a formé, sur le plan de la spiritualité, la majeure partie du clergé d’Alsace de 1820 à 1865.

Parallèlement à celui de Strasbourg, fonctionnait à Mayence un autre séminaire, peuplé en grande partie d’alsaciens, dont le Père Liebermann fut supérieur jusqu’en 1824. Son disciple, André Raess le futur évêque de Strasbourg, lui succédera jusque l’an 1830.

III. La formation du clergé entre 1801 et la fin de la première Guerre Mondiale

Nous avons déjà évoqué la figure du père Thiébaut Lienhart, ex-bénédictin de Marmoutier, nouveau supérieur en 1805 pour 25 ans : c’est lui, à vrai dire, le vrai restaurateur du séminaire strasbourgeois. Après lui, le supérieur sera de 1830 à 1836 le père André Raess avant de parvenir lui-même à l’épiscopat (1842-1887). Du point de vue du nombre des professeurs, celui-ci vient lui aussi à augmenter ; en 1807, ils sont déjà quatre enseignants. Comparés aux effectifs d’autres diocèses, ceux des professeurs du grand séminaire de Strasbourg paraissent importants. En 1807, dogmatique et philosophie sont les deux matières à être inscrites au programme d’étude pour les séminaristes. En 1870, 14 cours différents seront enseignés. A Strasbourg, au cœur de la Réforme protestante, il convenait aux futurs chargés d’âmes d’être armés pour la controverse dogmatique, une formation conséquente fut donc requise.

  • L’expérience de la « Petite Sorbonne » initiée par Mgr Le Pappe de Trévern (1827-1842)

En 1827, dans les locaux de l’ancien collège des Jésuites, Le Pappe de Trévern fonde une école supérieure de théologie, appelée «  Petite Sorbonne » qui allait recevoir, pour un complément de formation, les prêtres les plus doués ayant achevé leurs études. Cette « Petite Sorbonne » a été une pépinière de clercs de grande valeur, lesquels auront à partir de 1840 une énorme influence dans la vie religieuse du diocèse de Strasboug. Le 18 mars 1835, Mgr Le Pappe de Trévern dans sa lettre adressée au ministre des cultes déclare que « pour compléter ce qui manque à l’éducation cléricale de mes séminaires, j’ai cru que ce serait une chose très utile à faire que de choisir parmi les élèves de la quatrième année les sujets les plus distingués pour leur faire suivre pendant un an ou deux un cours de hautes études théologiques ».

André Raess, ayant succédé à Liebermann en 1824 à la tête du séminaire de Mayence et étant revenu en Alsace en 1830, dirigeait depuis février de la même année la « Petite Sorbonne ». Pour la rentrée scolaire suivante, l’évêque lui confia la direction du grand séminaire. Il porta les études de théologie des séminaristes de trois à quatre ans. Cette « Petite Sorbonne » s’installa d’abord donc à Molsheim (1827- 1834) puis quelques semaines au palais épiscopal de Strasbourg (1834) enfin dans une maison de campagne à Marlenheim (1835-1841). La « Petite Sorbonne » ne devait que démontrer le souci louable de l’évêque de former un clergé d’élite plus instruit qu’il ne l’avait trouvé au moment de son accession sur le siège de saint Arbogast.

  • Mgr Le Pappe de Trévern et son souci de la formation

Durant son épiscopat, Mgr Le Pappe de Trévern renvoie deux supérieurs, le premier Lienhart en 1830, le second Raess en 1836, pour des motifs demeurés flous. En même temps, il ouvre deux petits séminaires : Saint-Louis Strasbourg pour le Bas-Rhin et La Chapelle dans le Haut-Rhin ; son grand séminaire en plus de la « Petite Sorbonne ». Quelques ombres assombrissent le tableau : l’éphémère existence de Saint-Louis Strasbourg et le différend avec Beautain, les difficultés financières de La Chapelle, le problème de la baisse des entrées au grand séminaire et le limogeage des deux supérieurs, de même la critique de la « Petite Sorbonne » par une partie du clergé.

  • L’établissement des petits séminaires

Le XIXème siècle voit l’apparition des petits séminaires épiscopaux. En effet, l’ordonnance royale du 5 octobre 1815 constitue l’acte de naissance des petits séminaires en France.

Le 11 novembre 1818 s’opère la première rentrée scolaire à La Chapelle dans le Haut-Rhin, dans l’arrondissement de Belfort et dont Lienhart en est le premier supérieur. En l’année scolaire 1819-1820, ce petit séminaire accueille 140 élèves. Avec 249 élèves à La Chapelle en 1866, Mgr Raess décide après avoir songé à l’agrandir, à le transférer à Zillisheim qui ouvrira ses portes à l’automne 1869 ; y est aussi installé le 1er cycle de théologie du grand séminaire, fort de ses 72 étudiants, sous la direction de l’abbé Korum, futur évêque de Trêves, car les bâtiments de la rue des frères sont trop exigus devant le nombre croissant de séminaristes. Le petit séminaire du Bas-Rhin est installé en 1861 par Mgr Raess dans les nouveaux et magnifiques bâtiments de Saint-Etienne.

Pour subvenir aux besoins matériels et financiers de ces nouveaux lieux de formation, le même évêque fonde en 1843, l’œuvre des Petits Séminaires, pour organiser des quêtes annuelles.

Les deux établissements ferment, celui de Strasbourg dès avril 1874, Zillisheim début juillet 1874 suite à la fameuse loi du 12 juillet 1873 imposant aux petits séminaires les méthodes et programmes en vigueur dans les lycées et contraint les professeurs à une inspection, ce que refuse avec intransigeance Mgr Raess.

A Strasbourg Saint-Etienne, les exercices de piété devaient occuper deux heures par jour. Le début de la journée commençait par un passage à la chapelle où en moins d’une demi-heure se suivaient la méditation et la messe. La prière inaugurait et achevait classes et études.

Dans un premier temps, entre 1871 et 1874, les petits séminaires d’Alsace (Saint-Etienne à Strasbourg, et Zillisheim) continuent à fonctionner. De 1874 à 1880, les petits séminaires étant fermés en Alsace, les jeunes se destinant vers les ordres sacrés quittent la plupart le Reichsland.

A partir de 1880, les petits séminaires rouvrent leurs portes, leur intégration au système éducatif allemand étant effectuée.

Pour évaluer l’impact, notons ici quelques chiffres : en Alsace, à Saint-Etienne de Strasbourg, pour les élèves philosophes, on compte 50 % d’étudiants devenus prêtres pour l’année scolaire 1831-1832 et 68 % pour 1868-1869.

  • L’enseignement des futurs clercs

Raess, encore supérieur du séminaire strasbourgeois, fit circuler des revues théologiques et religieuses, comme le Katholik, de tendance ultramontaine. Cette formation continue du clergé s’opéra ensuite également par l’intermédiaire des revues : relevons l’exemple du Katholisches Kirchen und Schulblatt. Entre 1840 et 1914 paraissent successivement le Katholisches Kirchen-und Schulblatt (1840-1857), l’Union Alsacienne (1858) et la Revue Catholique d’Alsace (1859-1914).

Par ailleurs, être professeur de séminaire servait de tremplin pour quelques uns qui accèderont à la dignité épiscopale : Raess, Stumpf (tous deux à Strasbourg ), Korum à Trêves, et Marbach comme évêque auxiliaire.

Si certains séminaires intègrent peu à peu l’Ecriture Sainte ou quelques bribes de droit canon, on ne peut que souligner le cas exceptionnel que constitue assez tôt Strasbourg. Sous les épiscopats de Mgr Le Pappe de Trévern (1827-1842) et de Mgr Raess (1842-1887), la maison fut dotée d’un haut niveau d’enseignement avec des professeurs particulièrement compétents, comme Simon-Ferdinand Mühe, et des supérieurs exigeants, comme l’abbé Liebermann, « théologien de marque à l’esprit méthodique et sûr » et ultramontain convaincu. Leur ancien élève, devenu Mgr Frepel, se souvint avec reconnaissance de cette formation. Celle-ci doit sa qualité à la proximité de l’Allemagne et en particulier de « l’école de Mayence », séminaire où avait résidé Liebermann avant d’être rappelé à Strasbourg.

Pour le diocèse de Strasbourg, mais cela est tout autant vrai pour d’autres diocèses français, les séminaires diocésains ont été alimentés par les petits séminaires ou écoles secondaires ecclésiastiques.

La loi française de février 1873 transforme en écoles privées appelées collèges épiscopaux les petits séminaires ; les aspirants au sacerdoce sont formés dans un cadre éducatif commun à tous les élèves du secondaire et non plus sous la seule autorité de l’évêque.

Après 1860, la rue des frères connut un gros afflux de séminaristes ; 41 en 1860, 73 en 1870 tout juste avant le conflit avec la Prusse.

  • L’annexion de 1871 à l’Empire allemand

Peu avant l’annexion, avec une moyenne de 30 à 50 entrées par an, le grand séminaire de Strasbourg compta 270 séminaristes en 1870. On assiste pour cette période à un recrutement essentiellement rural. Le séminaire fut dirigé de 1864 à 1881 par le Père Stumpf, ancien supérieur du séminaire français de Rome, futur évêque de Strasbourg.

A Strasbourg, le grand séminaire fut donc pendant le XIXème siècle, le seul en charge de la formation du clergé catholique. Sous Mgr Stumpf, il est même en mesure de conférer des grades canoniques. En 1871, lorsque l’Alsace-Moselle est annexée par le deuxième Reich allemand, dès 1872, le gouvernement impérial créa la Kaiser Wilhelm Universität qui comprend la faculté de théologie protestante… mais rien du côté catholique.

Précisément, lors de l’annexion allemande, les changements politiques et le Kulturkampf rendent délicate la formation au séminaire.

La plupart des cours se donne en français, le latin est la langue pour les cours de dogmatique, de morale et de droit canonique, et l’allemand pour l’homilétique.

La langue française a pu être maintenue comme langue principale d’enseignement ; l’enseignant est presque toujours titulaire du doctorat. Le grand séminaire reste malgré tout un foyer de culture française. Ce n’est qu’à partir de 1888 que Mgr Stumpf introduisit l’allemand comme langue officielle pour l’enseignement de la théologie.

Du fait de l’accroissement du nombre de séminaristes dans la seconde moitié du XIXème siècle, les premières années de séminaire sont placées à Zillisheim (1869-1870), puis à Saint-Etienne (1870-1871)

  • La formation théologique des séminaristes du diocèse de Strasbourg de 1870 à 1918

Les professeurs, de 1871 à 1903,  sont au nombre de 34 professeurs qui exercent au grand séminaire. Avant 1870, être professeur au grand séminaire de Strasbourg signifiait occuper une fonction de transition. Après 1870, cette remarque reste d’actualité, mais un certain nombre de professeurs n’exercent que cette fonction (par exemple : Bègue durant 31 ans, Rey 20 ans). Pour un quart des professeurs, c’est un statut à vie, ce qui constitue une différence fondamentale par rapport à la période française. La plupart des prêtres désignés exercent une activité avant d’être nommés au grand séminaire. Aussi, plus de futurs professeurs au grand séminaire oeuvrent dans la pastorale que dans l’enseignement aux petits séminaires.

Lors de l’annexion, la variété de cours classe le diocèse strasbourgeois de très loin devant les diocèses allemands ou français qui n’assurent qu’une douzaine de cours différents dans leurs séminaires respectifs.

Au cours de la période de 1870 à 1885, les responsables de la formation eurent à affronter une situation des plus délicates. De 1885 à 1903, le séminaire strasbourgeois jouit d’un grand prestige attaché au droit de conférer des grades canoniques. A partir de 1903, la formation de type universitaire relève encore le niveau d’un clergé dont la culture fait honneur au diocèse. Notons l’évolution générale de la formation théologique des séminaristes strasbourgeois en trois étapes durant ces 48 années de la période 1870-1918 :

–          de 1870 à 1885, le grand séminaire assure une formation de type tridentin dans des conditions souvent difficiles ;

–          de 1885 à 1903, le grand séminaire est le siège d’un institut théologique reconnu par le Saint-Siège (le 3 septembre 1885, un décret de la congrégation des études accorde au grand séminaire le droit de conférer les grades canoniques du baccalauréat et de la licence en théologie et approuve les règlements pour la collation de ces grades ainsi que les statuts de l’institut de théologie)

–         de 1903 à 1918 les séminaristes reçoivent leur formation à la faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg.

Dans le Strassburger Diözesanblatt d’octobre 1903, Mgr Fritzen publie une ordonnance qui fixe les conditions de résidence des clercs ; ainsi, tous les étudiants en théologie qui veulent être incardinés au diocèse de Strasbourg sont tenus d’entrer au grand séminaire dès le début de leurs études de philosophie et de théologie et d’y résider pendant les cinq années du cycle de formation.

  • Une faculté de théologie pour germaniser le clergé alsacien (1902-1914)

L’abbé Mathias est le supérieur du grand séminaire de 1908 à 1921.

Le clergé alsacien est plutôt hostile à l’idée d’une création d’une faculté de théologie catholique à Strasbourg, surtout sous Mgr Raess, car il redoute une mainmise du gouvernement allemand sur la formation des futurs clercs. Bien que l’instruction se fasse dorénavant à l’université allemande, l’éducation reste au séminaire de tendance française.

Kannengieser dans son autobiographie note que « les promoteurs de la faculté de théologie n’ont eu qu’un but, un but qui n’avait rien à voir avec le développement des sciences ecclésiastiques, celui de germaniser rapidement le clergé d’Alsace et par contre-coup l’Alsace elle-même » (‘Voyages en zig-zag à travers ma vie’, in Revue Catholique d’Alsace, 1920, p .682).

La convention du 5 décembre 1902 entre le Saint-Siège et le gouvernement allemand spécifie dans l’article I que « l’instruction scientifique sera donnée aux jeunes clercs du diocèse de Strasbourg par une faculté de théologie catholique qui sera érigée à l’Université de Strasbourg. En même temps, le grand séminaire épiscopal continuera d’exister et de fonctionner pour l’éducation pratique desdits clercs qui y recevront l’enseignement de toutes les matières se rapportant à l’exercice des fonctions sacerdotales ».

La convention stipule que la formation scientifique des jeunes clercs serait assurée par la faculté, le grand séminaire s’occupant de la formation pastorale. La création de la faculté avait pour but aux yeux du gouvernement allemand de germaniser le clergé alsacien, et par contrecoup, l’Alsace elle-même.

Le 22 octobre 1903 s’effectue la première rentrée où la toute nouvelle Katholisch-Theologische Fakultät accueille ses premiers étudiants.

Ainsi, aucun cours académique faisant partie des matières du programme de la faculté de théologie catholique ne fut donné au grand séminaire. Les cours académiques proprement dits furent réservés à la seule faculté de théologie. Le Bulletin ecclésiastique de 1903, dans le règlement des examens des clercs du grand séminaire stipule que la réussite aux examens universitaires est requise pour les ordinations.

Dans une lettre par le « Kurator » de l’Université, Back, adressée au secrétaire d’Etat d’Alsace-Lorraine, il s’agit d’un vrai réquisitoire contre la direction du grand séminaire ; « la faculté de théologie catholique devrait normalement renforcer le sens patriotique et le culte des valeurs allemandes et contribuer au rayonnement de la culture allemande ».

« Les régions de Lorraine et d’Alsace annexées se trouvèrent du fait de l’occupation allemande dans une situation spéciale, en particulier pour les séminaristes. Jusqu’en 1902 les études préparatoires au sacerdoce en Alsace se sont faites suivant la coutume française, au grand séminaire de Strasbourg. Celui-ci ne relevait que de l’évêque, Mgr Fritzen (1891-1918). La création à cette date par l’Allemagne, avec l’assentiment du Saint-Siège, d’une faculté de théologie catholique à côté de l’université protestante va entraîner des modifications. On distingue dorénavant dans la formation du clergé deux parties : préparation scientifique et éducation spirituelle. La première est le domaine réservé à la faculté, la seconde au séminaire lui-même. Les étudiants durent donc se rendre à la faculté pour y suivre les cours. Cette solution permettait au gouvernement impérial de satisfaire l’opinion publique en faisant place à la théologie catholique parmi les disciplines enseignées à l’Université et, en même temps, d’excercer un certain contrôle sur les séminaristes ».

  • 1801-1918 : une période charnière

Il nous faut ici dire quelques mots conclusifs à cette grande partie couvrant le XIXème siècle et le début du XXème. Le diocèse de Strasbourg n’a eu de cesse de garder le souci de former après 1870 un clergé cultivé, de niveau intellectuel élevé.

Dans un contexte historique marqué par l’intérêt pour les questions sociales après la parution de l’encyclique Rerum novarum de 1891, l’influence française reste prononcée dans la formation du clergé en Alsace de 1871 à 1918. Nous l’avons relevé, ce n’est qu’en 1888 que Mgr Stumpf introduit l’allemand comme langue officielle pour l’enseignement de la théologie. Même après l’érection de la faculté, au séminaire de Strasbourg, l’éducation reste de tendance française. La Revue catholique d’Alsace a paru en français durant toute la période de l’annexion prussienne.

Selon cette belle formule de R. Epp, « si la fondation de la faculté a contribué à relever le niveau du clergé, elle n’a pas réussi pour autant à le germaniser ».

Par ailleurs, en ce début du XXème siècle, l’Alsace reste une pépinière de vocations ; le grand séminaire affiche complet et refuse même du monde. Chaque année, une trentaine de prêtres sont ordonnés pour le service du diocèse.

IV. Les séminaristes du diocèse de Strasbourg au XXème siècle

Durant la première guerre mondiale, le séminaire servit d’hôpital militaire.

Pendant la seconde guerre mondiale, les séminaristes se réfugièrent en majorité à Clermont-ferrand et à Fribourg-en-Brisgau. Certains furent concernés par l’incorporation de force et le service militaire obligatoire. Le séminaire fut réquisitionné et devint, l’espace de quelques années, le quartier général du Kultus Ministerium. Tout revient à la normale avant la fin de la guerre en 1945 et les séminaristes regagnent le 2 rue des frères.

  • L’entre-deux guerres

Mgr Ruch, rêvant de revenir au modèle français pour la formation du clergé, dans une lettre du 17 juillet 1921 à M. François Verdier, supérieur général des Lazaristes,  écrit son profond désarroi : « en réalité, je n’ai pas de grand séminaire proprement dit, mais un pieux convict qui est en même temps une contrefaçon de la faculté de théologie. Je voudrais toujours plus que jamais pouvoir confier mon séminaire à une congrégation ».

Au retour à la France en 1918, le contexte général propre au régime français ne concernait et ne s’appliquait pas au diocèse de Strasbourg (la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’état ne touche pas l’Alsace, annexée au Reichsland à cette date).

En Alsace comme ailleurs, on assiste à une chute vertigineuse des vocations, à la fin du XIXème et au début du XXème siècle.

« Depuis 1902, la préparation scientifique des séminaristes était réservée à la faculté de théologie catholique. Les petits séminaires ne conduisant leurs élèves que jusqu’à la classe de première, les aspirants au sacerdoce étaient regroupés au séminaire Saint-Thomas-d’Aquin à Strasbourg, pour une année de philosophie qui comptait canoniquement comme première année de formation à la prêtrise. Ils rejoignaient ensuite la maison de la rue des frères pour suivre pendant cinq ans le cursus habituel entre séminaire et faculté de théologie. Au lendemain du retour de l’Alsace à la France, en mars 1919, le Saint-Siège déclara que l’autorité épiscopale devait rétablir le grand séminaire dans la forme où il existait avant l’institution de la faculté. Quant au gouvernement français, il était résolu à ce que le statut quo soit maintenu en Alsace-Moselle en laissant en vigueur le Concordat de 1801 et la convention de 1901. La faculté de théologie continua donc à offrir aux étudiants, après la première année du séminaire, la série des études universitaires réparties en deux cycles. Le premier était de deux ans avec la philosophie, la théologie dogmatique, fondamentale et morale, l’introduction à l’Ecriture sainte, l’histoire ancienne de l’Eglise, la patrologie, et l’archéologie chrétienne. Au terme de cette étape on pouvait se présenter au baccalauréat en théologie. Le second cycle s’étalait sur trois ans avec la théologie dogmatique, morale et pastorale, l’exégèse, l’histoire moderne de l’Eglise, le droit canon et la liturgie. Les séminaristes pouvaient alors obtenir la licence en théologie. Souhaitant développer l’enseignemement du droit canonique, Mgr Ruch plaida sa cause à la Congégation des séminaires et ce ne fut qu’en 1923 qu’était signée la convention avec le gouvernement français reconnaissant définitivement la faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg avec son annexe de l’Institut de droit canonique ».

  • L’épreuve de la deuxième Guerre Mondiale

Pendant la guerre, dès 1939, le séminaire de Strasbourg est évacué à Royat, près de Clermont-Ferrand. Les bâtiments du séminaire de la rue des frères à Strasbourg furent réquisitionnés en annexe des services du ministère de l’Education et des cultes. Soit les séminaristes restaient en Auvergne (sous la direction des P. Gaudel puis Elchinger), soit ils allaient à Fribourg-en-Brisgau. Sur 258 qui furent mobilisés en 1941, seuls 127 restèrent.

+ Les séminaristes et prêtres en âge de mobilisation, non pourvus de sursis ou non réformés pour raison de santé, se trouvaient en caserne ou en campagne de septembre 1939 à juin 1940.

Durant la seconde guerre mondiale, les évêques français écrivaient des circulaires destinées aux étudiants séminaristes engagés sous les drapeaux. Mgr Ruch rédigea une lettre pastorale spécialement destinée aux combattants en mai 1940 dans un format de poche sous le titre Le livre du séminariste en campagne. Prières. Conseils. Méditations.

+ L’embrigadement 

Les chantiers de jeunesse, puis le service obligatoire non militaire appelé « groupement de jeunesse » ont vu passer pas moins de 60 000 jeunes, dont bon nombre de séminaristes. Parmi ceux-ci figuraient des Alsaciens, comme Charles Brand, le futur archevêque de Strasbourg, qui occupa le poste de secrétaire de l’aumônier général, le P. Forestier.

En ce qui concerne les séminaristes alsaciens qui étaient restés en Alsace après la défaite dans ce qui allait devenir la zone annexée ou qui la rejoignirent par la suite, ils durent poursuivre leurs études à Fribourg, en pays de Bade, à partir d’octobre 1940 avant de terminer leur formation de dernière année à Strasbourg même, à la maison Saint-Thomas.

Quant à ceux qui furent incorporés de force, les « Malgré-nous », on estime à 130 leur nombre, divisé en deux groupes, des étudiants de Fribourg et des petits séminaristes de 15 à 18 ans qui poursuivaient leurs études secondaires. La plupart furent envoyés sur le front russe, quelques-uns réussirent à déserter mais plus d’une vingtaine y laissèrent la vie.

+ Les Alsaciens à Royat

Le transfert de l’université de Strasbourg à Clermont-Ferrand eut lieu en novembre 1939. Le supérieur du grand séminaire, Mgr Boehm, convoqua les séminaristes en gare de Strasbourg le vendredi 27 octobre. Une centaine de jeunes gens se retrouvent ainsi à Clermont, une autre centaine est aux armées.

Les deux facultés de théologie, pendant le repliement de l’université à Clermont-Ferrand à partir de l’automne 1939, ont pu poursuivre un enseignement aux étudiants déplacés là-bas.

La formation des séminaristes relevait toujours des deux institutions, le séminaire lui-même et l’université avec la faculté de théologie. Il fallut organiser sur place les études. A titre symbolique, des cours d’histoire des religions et d’histoire de l’Eglise furent donnés dans l’amphithéâtre de l’université d’Etat, les cours de théologie ayant lieu dans les locaux du grand séminaire.

A Clermont, on souligne une ouverture humaniste et sociale plus large avec l’intervention de laïcs, cela étant en grande partie dû à la personnalité du recteur, l’abbé Elchinger, futur archevêque de Strasbourg. Les séminaristes sur place pratiquèrent une résistance plus intellectuelle que militaire.

Les bâtiments universitaires de Clermont étaient surchargés du fait de la présence des facultés de Strasbourg.

Pour le cas précis des séminaristes, ceux-ci sont dispersés au grand séminaire Richelieu, à la maison Sainte-Anne des œuvres diocésaines, à l’hôtel ou Villa Sainte-Jeanne-d’Arc, et au séminaire des Missions africaines.

Sur place, les cours mêlent strasbourgeois et clermontois, sauf pour la théologie où les étudiants de Strasbourg conservent leurs professeurs, en conformité avec le régime concordataire propre à l’Alsace. Les cours de théologie ont lieu dans les locaux du séminaire.

Il n’y eut pas de retour en Alsace pour les vacances de Noël.

Le 29 juin 1940, Mgr Piguet évêque de Clermont ordonne sept prêtres alsaciens en la chapelle du séminaire Richelieu.

L’abbé Elchinger est nommé recteur en 1941 du grand séminaire de Royat en remplacement de Gaudel ; il donne des cours de morale pastorale et sacramentelle aux séminaristes de second cycle ; directeur spirituel et professeur au grand séminaire de Strasbourg déjà de 1931 à 1938, il est donc nommé en octobre 1941 supérieur du séminaire universitaire replié à Clermont-Ferrand.

Durant la IIème guerre mondiale, une partie des séminaristes alsaciens qui avaient passé la première année de guerre à Royat ne revinrent pas en Alsace en 1940, mais restèrent en Auvergne avec leur professeurs. Réparti sur trois maisons différentes, le séminaire était dirigé par le professeur Gaudel, jusqu’à sa nomination comme évêque de Fréjus-Toulon, puis à partir d’octobre 1941, par l’abbé Elchinger, le futur évêque de Strasbourg. A la rentrée 1940, le séminaire ne comptait qu’une quinzaine d’étudiants ; à la rentrée 1941, une cinquantaine, à celle de 1942, 76 dont 16 Lorrains. Les ordinations furent conférées soit par Mgr Ruch, soit par Mgr Heintz, évêque de Metz, expulsé, soit par l’évêque de Clermont, Mgr Piguet. Notons que Charles Brand, futur évêque, a été ordonné avec quatre confrères en 1943 par Mgr Heintz en juin 1943.

A Royat, où s’étaient réfugiés des étudiants alsaciens, dans la villa Jeanne d’Arc tenue par des sœurs franciscaines, les étages supérieurs, après novembre 1942, furent occupés par l’état-major allemand de lutte contre le maquis d’Auvergne, et au rez-de-chaussée dans les deux salles et au Pavillon continua de fonctionner le Grand Séminaire de Strasbourg.

Pour l’année scolaire 1943-1944, on dénombre 27 séminaristes de Strasbourg présents à Clermont.

A partir de 1943, la pression nazie se fait de plus en plus forte pour une dissolution de l’université strasbourgeoise de Clermont-ferrand : elle fut imminente quand intervint la libération de la ville à l’été 1944.

+ La situation à Strasbourg

A Strasbourg, le grand séminaire et la faculté de théologie catholique ne purent reprendre leurs activités en 1940. Les allemands n’autorisent pas la réouverture du grand séminaire de Strasbourg. La Reichsuniversität ne comporte pas de faculté de théologie.

Les bâtiments du grand séminaire furent réquisitionnés et devinrent une annexe des services du ministère de l’Education et des Cultes de Karlsruhe (Kultusministerium) (1940-1944).

Dans l’Alsace annexée, la première forme de mobilisation fut l’appel au RAD (Reichsarbeitsdienst) à partir de mai 1941 ; c’est un service de travail de trois mois organisé par le parti, où la prestation de serment au Führer trouva lieu obligatoirement.

Il y aussi environ 130 Malgré-nous séminaristes mobilisés subdivisés en deux groupes : les grands séminaristes mobilisés après une ou plusieurs années d’études théologiques à Fribourg ; le second groupe composé des petits séminaristes incorporés de 15 à 18 ans au cours de leurs études secondaires.

Concernant le mouvement de résistance, à Clermont, les Alsaciens réfugiés, dès la fin des hostilités en 1940, n’acceptent pas l’annexion de leur province par l’Allemagne. Celle-ci, comme en Alsace même, amène certains à s’engager aussitôt dans le mouvement de la résistance. Le cas le plus connu est peut-être Pierre Bockel, qui dès 1940 à Thann, rejoint le réseau Martial. Expulsé en novembre, il rejoint le séminaire de Lyon où il est ordonné en 1943. Il deviendra plus tard archiprêtre de la cathédrale de Strasbourg.

En 1943, Mgr Hauger (évêque missionnaire) ordonne en Alsace quarante-deux prêtres dès 23 ans, avant l’âge canonique, pour éviter la mobilisation.

Les séminaristes en dernière année ont la permission de rester à Strasbourg à Saint-Thomas à la Robertsau. Cette maison fut restée ouverte à la disposition de l’évêché. L’appellation officielle de Theologisches Praktikum lui sera même donnée et la responsabilité est confiée au Père Boehm.

De Fribourg, arrivent ceux qui ont achevé leurs quatre années d’études, pour accomplir à Saint-Thomas la cinquième année. Le nombre des étudiants de la Robertsau fut variable ; en moyenne, on dénombre par promotion une trentaine de séminaristes.

A Saint-Thomas, pour la promotion de la rentrée d’octobre 1940, une quinzaine de clercs est ordonnée par Mgr Hauger le 1er juillet 1941 à saint-Pierre-le-Jeune.

Pour l’an 1942-1943, les nouveaux prêtres reçoivent du vicaire général Douvier une affectation pastorale pour les mettre à l’abri de l’incorporation à la Wehrmacht.

Saint-Thomas se repeuple à partir de mars 1945 où l’enseignement repasse de l’allemand au français.

(Pour ce qui est des petits séminaires épiscopaux, Zillisheim et Saint-Etienne, ils durent fermer leurs portes durant la seconde guerre mondiale.)

+ Le repli à Fribourg-en Brisgau

Un groupe d’une quarantaine de partants retourne en Alsace en octobre 1940. Mais se pose alors le problème de savoir où poursuivre les études.

Les étudiants qui revinrent de Royat à ce moment-là et ceux qui commencèrent leurs études de théologie durant la guerre se rendent à Fribourg-en-Brisgau : là ils sont accueillis au Konvikt archiépiscopal Saint-Charles Borromée et suivent les cours à la faculté de théologie de l’université. Etant presque tous mobilisés, il ne restait au séminaire dans l’été 1941 que 16 allemands, contre 127 alsaciens. Le séminaire était dirigé par Wendelin Rauch, futur archevêque de Fribourg en 1948, et ce dernier fut l’agent principal de la fraternité régnant dans cette maison de formation au ministère.

Pour la présence des alsaciens à Fribourg en Allemagne, deux prêtres alsaciens, Lucien Mury et Adrien Schira, furent adjoints au supérieur du Konvikt (séminaire saint Charles Borromée) de Fribourg en vue du ministère spirituel et pastoral des séminaristes alsaciens. L’organisation des études fut à peu près la même que celle donnée à Strasbourg, avec la nuance d’une année de formation pastorale pratique avant l’ordination, à Sankt Peter en Forêt-Noire.

L’apport massif des alsaciens redonna un public et une raison d’être à la faculté de théologie de Fribourg, la plus grande partie des étudiants étant alors mobilisés dans l’armée allemande.

Des répétiteurs aidaient les étudiants, spécialement ceux des cantons welsches éprouvant des difficultés en langue. Les études de théologie durent quatre ans : deux ans de philosophie, et deux de théologie. Pour illustrer les heures sombres de l’histoire de l’époque, les professeurs, en entrant dans la salle de cours, devaient faire le salut nazi, Heil Hitler, en levant le bas.

Pour ce qui concerne les séminaristes étudiant à Fribourg, à partir d’été 1941, est institué pendant les congés d’été un service de travail de huit semaines dans l’armement, Rüstungseinsatz, condition sine qua non pour continuer les études au semestre suivant. Ainsi, un groupe d’une quinzaine de séminaristes alsaciens est appelé à Kaiserslautern aux hauts-fourneaux et à la fabrication d’obus.

Pour l’année scolaire 1941-1942, la surprise de la rentrée fut la réquisition du Konvikt par l’armée et la dispersion des étudiants en trois maisons.

Le 27 novembre 1944, un terrible bombardement ravagea Fribourg, détruisant en grande partie le Konvikt et la chapelle. Après Noël 1944, on note une timide reprise des cours.

Ce système mixte Fribourg / Saint-Thomas fonctionna jusqu’en novembre 1944.

Un point commun aux cas des séminaristes repliés à Royat et de ceux exilés en Allemagne, est relevé par P. Winniger quand il écrit que dans l’aide pastorale proposée aux paroisses de ces lieux, les alsaciens se firent par ailleurs remarquer par la connaissance du chant grégorien.

+ Après la guerre

Le 30 juin 1945, se déroule le départ de Clermont de l’Université de Strasbourg pour le retour.

La maison Saint-Thomas reprend à la rentrée 1945 dès lors sa fonction canonique de première année de séminaire et scolaire de classe de philosophie préparant au second baccalauréat, un peu proche de l’année de propédeutique qui fut généralisée bien plus tard.

En octobre 1945, la maison du 2 rue des frères rouvre ses portes et accueille des recrues d’origine diverses : retour de Clermont, Fribourg, prisonniers libérés, anciens et débutants… La maison est vite une vraie ruche, il y a foule ; on loge à cinq par chambre. La première année compte environ 60 nouveaux séminaristes. La direction se compose ainsi : Mgr Boehm supérieur, de Mury, Mathieu, Mappus, et Kirchhoffer directeurs.

Début novembre, la réouverture solennelle de l’université donne lieu à trois jours de congés.

Le nouvel évêque, Mgr Weber, conféra les premières ordinations sacerdotales le samedi saint 1946, à cinq nouveaux prêtres.

En Alsace, le régime nazi pratiqua une politique antireligieuse plus sévère qu’en Allemagne même, notamment dans le domaine scolaire.

Les deux collèges épiscopaux , Zillisheim et Saint-Etienne à Strasbourg, équivalents des petits séminaires dans le reste de la France, regroupant les garçons se destinant à la prêtrise, rouvrent leurs portes à l’automne 1945. L’année suivante, Mgr Weber inaugura un nouveau petit séminaire à Saint-Joseph de Walbourg concernant alors les classes allant de la sixième à la quatrième.

En 1965, le séminaire Saint-Thomas de la Robertsau est fermé.

Conclusions :

Au terme de cette riche étude sur l’histoire de la formation du clergé du diocèse de Strasbourg, nous voudrions simplement conclure en reprenant l’un ou l’autre aspect développé dans le corps de notre travail.

Au travers de plus de quatre siècles de formation, il est notable de constater que le diocèse de Strasbourg n’a jamais fait appel aux diocèses voisins ni français ni allemand pour assurer la formation de son clergé.

L’influence des Jésuites a marqué de son empreinte cette formation, d’abord établie à Molsheim, Strasbourg étant marquée par la Réforme protestante.

Au XIXème siècle, le rôle des petits séminaires épiscopaux qui préparent au Grand Séminaire constitue une véritable pépinière et un vivier pour de futures vocations.

Après l’annexion de 1871, dans le mouvement de germanisation exercé par le pouvoir impérial, la faculté de théologie a d’abord été allemande avant de devenir française en 1918.

Les deux guerres mondiales, et les drames des malgré-nous et de l’incorporation de force dès 1939 ne peuvent nous inspirer que le devoir de mémoire devant les atrocités et les férocités du régime nazi. Les épreuves endurées, les dangers encourus, les privations, la séparation d’avec la famille furent une expérience de vie exceptionnelle. Celle-ci a approfondi la foi, stimulé la prière, affermi la volonté de persévérance et animé un zèle pastoral ardent pour évangéliser un monde si tragiquement à la dérive.

L’histoire contemporaine depuis l’après 1945 est encore bien récente pour pouvoir essayer de traiter cette dernière tranche de l’histoire…

 

Thomas, séminariste de 4ème année

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